Belle surprise que cette traduction de Patrick Reumaux, qui dirige la collection De Natura Rerum aux éditions Klincksieck. L’ouvrage est fort bien présenté, avec la remarquable adaptation de la jaquette d’origine de 1923. La traduction, surtout, est juste, et respecte le style de l’auteur, sa poésie, son érudition, son humour et l’émotion qu’il transmet. Grand voyageur, et considéré comme l’un des meilleurs écrivains naturalistes britanniques, Powys nous livre ici ses récits africains, écrits lors des quatre années qu’il passa au Kenya dans la ferme de son frère. Manifestement l’élevage de moutons ne le passionne pas, et il préfère observer le ballet et les moeurs des hommes sous ces latitudes : Kikuyu, Masaï, Wanderobo ou colons britanniques dont il croque des portraits grinçants – il est vrai fort influencés par les préjugés de l’époque. Mais Powys est surtout un chantre de la nature, de la grandeur et de la rudesse de ce monde encore vierge et primitif qui l’entoure, ce monde de la sécheresse et de l’omniprésence des bêtes de proie. Sans renier sa beauté, il veut nous faire sentir « la saveur forte et crue de la peau de ce continent sinistre ». Si l’ouvrage nous intéresse ici, c’est qu’il est en grande partie dédié à la chasse. Sans le faire exprès, pourrait-on dire, car Powys n’est pas un grand nemrod (« Pas une petite affaire pour un tuberculeux naturellement attiré par les livres d’être soudain appelé pour tuer un léopard enfermé dans une boîte piégée », confesse-t-il un jour alors qu’il est appelé à la rescousse par ses boys). Mais la chasse fait tellement partie du pays et du quotidien au coeur de cette brousse impérieuse, qu’il s’y adonne sans rechigner, par nécessité ou pour passer le temps. S’ensuivent charges d’éléphants en furie, traque d’un monstrueux hippopotame, recherche terrifiante d’un lion blessé contée avec émotion et humilité. Car la chasse, pour Powys, illustre cette harmonie paradoxale qui règne dans la nature : « Tuer ! Tuer ! Tuer ! Voilà ce qu’il fallait faire pour s’accorder au rythme de l’Afrique, ce rythme inexorable, la cadence la plus sublime qui puisse être entendue […]. En Afrique, non seulement la nature est indifférente aux formes de vie qu’elle a créées, mais elle fait preuve de malignité. Partout règne une guerre impitoyable, menée avec astuce ». Ce propos, devenu trop rare aujourd’hui, qui accrédite la chasse comme inhérente à la respiration même du sauvage, et qui rend celle-ci indissociable de toute expérience naturaliste, est précieux à bien des égards.
Klincksieck, 334 pages, 21,50 €.