Il est des livres que l’on devrait, pour tout commentaire, se contenter de citer. Celui-ci en fait partie. « J’aime le piano et la montagne. Mais je ne serai jamais ni pianiste ni montagnard, juste un dilettante. Face au clavier, je rêve d’arpèges envoûtantes […] et je bute toujours sur les mêmes limites. Chaque falaise […] me dit : pas pour toi. […] Laborieux au piano, tenace et stoïcien sur la pente, je n’en suis pas moins heureux d’essayer et d’insister… » Pascal Bruckner tel qu’en lui-même : humble et lucide, toujours ouvert à l’émerveillement, ne regardant jamais à la dépense de l’effort, et sans cesse « repoussant la date de péremption. À tout âge, il faut avoir les yeux plus gros que le ventre, désirer au-delà du possible. […] Afin que jamais ne se relâche la ferveur qui nous unit au monde », écrit-il. Dans l’amitié d’une montagne témoigne très exactement d’une telle « ferveur » demeurée intacte. Ici, en compagnie de ce familier de longue date des hauteurs, nous ne voyageons pas seulement d’une cime à l’autre – des Alpes aux Pyrénées, notamment –, nous pérégrinons aussi parmi des souvenirs (quelquefois très lointains), de véritables déclarations d’amour (à la neige, aux vaches, et même au lait !), des anecdotes (aux côtés d’autres grimpeurs – plus ou moins chevronnés…), des pensées cristallines (« Toute l’énigme de la montagne tient dans la conversion de l’adversité en joie. […] La résistance de la paroi à notre volonté la rend éminemment désirable »), de puissantes visions sur les forces que l’on a en soi (« L’énergie se crée en se dépensant, elle meurt dans l’apathie »), des analyses sociologiques (les pages sur le tourisme valent le détour : « Qu’est-ce que le touriste ? C’est l’autre, jamais nous »), des considérations sur ce que devrait être l’écologie et sur les dérives conceptuelles qu’elle draine aujourd’hui (« Qu’est-ce que la sauvagerie ? Une invention de la culture qui veut retrouver à son terme ce qu’elle combattait à ses origines, de même que le bucolique est la reconstruction d’un monde paysan idéalisé »), des instants de poésie, sinon de grâce, analogues en vérité à ceux que nous vivons, parfois, sous le patronage de saint Hubert… Hymne à l’élévation tant physique que spirituelle, l’ouvrage ne passe cependant pas sous silence l’étrange ambivalence du sentiment qu’éprouvent le grimpeur et, plus généralement, l’amoureux de ces paysages essentiellement, terriblement verticaux : si « la montagne est belle et riante », « c’est aussi un immense cimetière que je hais », un lieu où l’ennui n’a certes pas droit de cité, mais où la mort, à tout moment, peut s’inviter. « Une fois parvenu au sommet, continue de grimper », dit un proverbe tibétain. Paradoxe et métaphore de l’existence humaine auxquels Pascal Bruckner, avec bonheur, nous initie.
Grasset, 192 pages, 18 €.