Si le bien-fondé du reconfinement décidé par le gouvernement sur notre territoire est encore sujet à caution, il est, à l’heure où nous rédigeons ces lignes, absolument certain que l’exercice de la chasse s’en trouve, lui, grandement affecté. Et pour cause : la cynégétique ne figurant pas dans la liste des activités ‘‘vitales’’ ou ‘‘essentielles’’ à notre pays, elle est, conséquemment à ces mesures exceptionnelles, tout simplement suspendue jusqu’à nouvel ordre, au moins jusqu’au premier décembre – ainsi, d’ailleurs, que le piégeage.
Naturellement, on peut le regretter, car enfin nombre de modes de chasse pourraient perdurer, sous certaines conditions, sans que les risques de contamination n’en soient accrus. Mais ce qui paraît le plus embarrassant dans cette affaire, ce sont les décisions touchant les probables dérogations à la suspension en question. Car, après de longues discussions entre les représentants de la chasse française et les autorités, il est maintenant acquis que nous nous orientons vers la possibilité que seule la chasse des animaux susceptibles de causer des dégâts aux cultures soit maintenue (en clair, les sangliers) – selon les territoires, et sous réserve de validation préfectorale. Une orientation qui n’est pas sans conséquences.
Ce faisant, en effet, le monde cynégétique assume aux yeux du grand public d’être réduit à une fonction : celle de remplir, comme d’aucuns s’en sont réjouis, une ‘‘mission d’intérêt général’’. Si divers dans ce qui les anime, les chasseurs accepteront-ils vraiment sans sourciller de n’être rien d’autre que des régulateurs d’espèces surreprésentées – du sanglier, en particulier ? N’aurait-il pas été plus profitable, sinon plus judicieux, d’opposer une fin de non-recevoir à cette cote mal taillée qui contribue d’ores et déjà à diviser les adeptes de saint Hubert, et de voir là, au contraire, l’opportunité de montrer que nous n’avons pas vocation à être les « pompiers de service » de la faune sauvage, selon l’expression de Willy Schraen, Président FNC lui-même ? Ce confinement nous donnait pourtant une véritable occasion de redire que la chasse est d’abord une passion, que l’on chasse pour chasser, avant que de chasser selon une logique comptable.
La chasse ‘‘utile’’ ou ‘‘utilitaire’’ – argument ultime pour trop de nemrods ! – finira par être remise en cause par nos détracteurs, exactement comme l’est le piégeage, qui ne se justifie que par la nécessité de réguler. D’ailleurs, nombre d’associations antichasse l’ont compris, qui exigent que soient retirées des espèces chassables toutes celles dont il n’est a priori pas indispensable d’ajuster les populations – une idée qui pénètre de plus en plus les consciences de nos contemporains, chez celles et ceux qui méconnaissent la chasse ! Quid alors de la bécasse, du gibier d’eau, du faisan ou de la perdrix – d’autant plus d’élevage, pour ces derniers ? Quid des animaux chassés à courre, dont le nombre peut difficilement être considéré comme décisif dans le cadre d’une pratique centrée sur la régulation ?
Ces dérogations, si pragmatiques se veulent-elles en apparence, préparent les mentalités pour que ne subsiste plus en France qu’une chasse de protection des cultures et des biens, c’est-à-dire une chasse restreinte dans sa nature profonde. De là à épouser les contours d’une gestion à la genevoise, il n’y a en réalité qu’un pas – que les circonstances actuelles et ce type de décisions nous invitent à franchir. Rappelons que, jusqu’au 13 octobre dernier, un projet d’arrêté relatif au piégeage du sanglier – sur lequel les préfets pourraient s’appuyer pour limiter la présence de Sus Scrofa – a été mis en consultation publique…
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas du tout là de tenter de jeter le discrédit sur la pratique de la battue de grands animaux par exemple, sur l’efficacité et même la légitimité du tir d’approche ou d’affût, sur le rôle que les chasseurs ont aussi à jouer dans le bon état de santé – notamment numérique – de certaines espèces, etc. Tout cela relève pour nous de l’évidence. Ce qui est à craindre, en revanche, c’est l’idée que la chasse 'fonction' fasse définitivement disparaître la chasse 'passion'. Or, les dérogations actuellement envisagées – qui excluent toute chasse ‘‘non utile’’ – y contribuent clairement. Cela ressemble fort à une erreur stratégique sur le court terme, doublée d’un manque de lucidité sur le long terme.