Agriculteur dans l’Aisne, double actif, comme de nombreux jeunes qui reprennent aujourd’hui une exploitation agricole, Paul Mougenot, 31 ans, a succédé au Dr Gérard Pasquet à la présidence de l’Association nationale de conservation du petit gibier (ANCPG). De la raréfaction du petit gibier sédentaire, des moyens d’y remédier : il s’en ouvre à Jours de Chasse.

Comment en êtes-vous venu à la chasse ?

Comme on dit communément, je suis né dans le sérail. Mon père est chasseur, mon grand-père l’était, et mon arrière-grand-père était chasseur et pêcheur. Ces gentilshommes campagnards chassaient comme les personnages du marquis de Foudras. J’ai donc été initié très tôt, et ce ne sont pas mes études de droit qui m’ont empêché de chasser !

Quelles pratiques cynégétiques ont-elles votre préférence ?

S’agissant du petit gibier, seul ou à plusieurs, j’ai une inclination pour la chasse devant soi. Cependant, je suis parfaitement œcuménique : de la bécasse au sanglier, de l’approche du grand gibier à la chasse au chien d’arrêt, j’aime tout ; mais s’il fallait confesser une préférence, je pencherai pour la battue en chaudron typique de nos plaines picardes. Pour moi, cela reste un exercice exceptionnel d’organisation et de savoir-faire cynégétiques.

Qu’est-ce que l’ANCPG ?

Notre volonté est de promouvoir des méthodes réalistes de gestion efficace et durable du petit gibier sédentaire de plaine et de ses habitats. Cette démarche concerne d'abord évidemment les chasseurs qui, refusant le fatalisme face au déclin du petit gibier, souhaitent tout mettre en œuvre pour aménager leurs territoires afin de favoriser son retour naturel. Mais elle concerne tout autant les autres utilisateurs respectueux de la nature : forestiers, entomologistes et, au premier chef, les agriculteurs – acteurs essentiels de la vie rurale.

Nous sommes une association de décideurs, avec une conscience écologique, nourrie par une réflexion agronomique. Nous comptons ainsi parmi nos adhérents des membres de la LPO, et faisons en sorte que des gens qui ne se parlent pas habituellement puissent le faire à l’occasion de colloques ou de visites de territoires pilotes. Il s’agit de « lancer des passerelles entre les mondes, celui des laboratoires et celui du terrain », disait le fondateur de l’association, le Dr Gérard Pasquet. De fait, nos rassemblements ont compté jusqu’à trois cents personnes.

Quel est votre diagnostic sur l’état actuel des populations de petits gibiers en France ?

L’espace agricole français a connu plus de bouleversements ces 70 dernières années que pendant plusieurs siècles. Le petit gibier s’en accommode comme il peut, c’est-à-dire, pour certaines espèces, très mal, voire pas du tout. Il suffit d’observer la disparition progressive des perdrix, la raréfaction des faisans et, a fortiori, des cailles des blés. Leur gîte et leur couvert ont pour le moins souffert. Il y a de moins en moins d’espèces florales, d’insectes et d’oiseaux à cause des pratiques agricoles, de la culture intensive et des open-field. Je peux le dire avec d’autant plus d’aisance que je suis moi-même agriculteur. Les aléas météorologiques jouent aussi un rôle, c’est évident.

Gérard Pasquet a fondé le concept de la ‘‘chasse verte’’, doctrine de notre association, qui marque le passage de l’étape de la conservation des espèces à celle, fondamentale, de la gestion de leurs milieux. Elle est synthétisée dans un livre éponyme publié, en 2014, chez Montbel.

Quelles formes l’agriculture devrait-elle revêtir pour être bénéfiques au petit gibier et, plus généralement, à la biodiversité ?

L'agriculture destructrice des sols et de l'environnement n'est pas une fatalité. Il faut cependant agir vite et développer l'agrologie, cette science du complexe qui intègre l'écologie et la biodiversité des sols dans le but de leur redonner la fertilité qu'ils ont perdue. Voilà plus de 20 ans que Frédéric Thomas a importé le concept de l’agriculture de conservation des sols en France. Après des années de développement timide, on observe depuis peu une augmentation rapide des surfaces. Cette agriculture régénérative repose sur trois piliers fondamentaux : la réduction du travail du sol, la couverture permanente des sols et une succession de cultures diversifiées.

Cette agriculture permet le maintien des résidus en surface d’un sol toujours couvert et non perturbé et d’une diversité de couverts et de cultures. Cette agriculture du vivant favorise ainsi la biodiversité au sein des parcelles agricoles, avec une augmentation du cortège d’insectes, une augmentation de la fertilité naturelle du sol pour réduire le recours aux produits phytosanitaires, et un couvert refuge toute l’année. Il ne faut pas désespérer de la campagne. La conscience des implications écologiques de la question agricole s’accroît dans l’opinion, et le discours d’organisations aussi différentes que la Coordination rurale et la Confédération paysanne converge sur ces perspectives agronomiques.

A cet égard, qu’attendez-vous de la nouvelle PAC, en discussion en ce moment ?

La nouvelle PAC doit permettre de promouvoir, par le biais d’aides financières, une politique de conservation des biotopes et des habitats de la petite faune de plaine, comme le font déjà nos amis belges. Dans un contexte difficile pour la plupart des exploitations agricoles, la qualité des sols et le maintien de la biodiversité de plaine dépendront, dans diverses régions françaises, de cette aide financière. Le Green Deal européen pour l’agriculture va davantage verdir la PAC. Ce pacte vert européen est le grand chantier de la nouvelle Commission européenne d’Ursula von der Leyen. Il faut absolument être force de propositions !

L’engagement des agriculteurs dans les Mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) représente souvent, par exemple, une indemnisation faible par rapport à l’ensemble des aides de la PAC. Il n’est pas concevable que cet engagement vertueux entraîne un risque administratif et une pression plus forte sur les agriculteurs. Il faudrait que les surfaces d’intérêt écologique (SIE) soient aussi réparties au sein des îlots agricoles (au moins 2 %). Il est très important d’éclater géographiquement les éléments agro-environnementaux au sein des exploitations. La pérennité des aménagements garantira la préservation de la biodiversité. Enfin, il est essentiel que la PAC assure un bon équilibre de l’utilisation de l’eau, que cette utilisation en domaine agricole soit principalement nourricière et non destinée à la production d’énergies renouvelables (irrigations de cultures méthanisables, etc.).

Quel regard portez-vous sur le souhait, de plus en plus répandu, d’interdire tout usage de la chimie dans le cadre agricole ? Le bio est-il l’avenir ?

La pandémie du Covid-19 nous rappelle durement que l’agriculture est une ressource vitale, trop souvent délaissée. Il faut réfléchir à ce qu’il va être nécessaire de changer pour retrouver une agriculture locale, respectueuse des saisons. Pour autant, le ‘‘tout bio’’ de l’agro-business, avec le retour en force du machinisme agricole à grande échelle, ne peut avoir qu’un rôle préjudiciable sur la petite faune de plaine. C’est une certitude. Avec le bio, il y a souvent une différence entre la réalité et l’idée que l’on s’en fait ! Le rapport Pesticides et santé de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques affirme « que, malgré un grand nombre d'études, aucun consensus scientifique ne semble se dégager à l'heure actuelle pour affirmer [que les méthodes bio] soient meilleures que [celles] de l’alimentation issue de l’agriculture conventionnelle ».

Parmi les menaces qui pèsent sur le petit gibier, il y a aussi la prédation. Que préconisez-vous à ce titre ?

Je ne peux qu’encourager les nouveaux chasseurs à s’initier au piégeage. Rappelons qu’en France ce dernier est soumis à une formation permettant d’obtenir un agrément préfectoral. Différentes études européennes montrent que les prédateurs naturels sont responsables, jusqu’à 80 %, de la disparition des animaux de plaine. Le nombre de ces prédateurs a explosé depuis 50 ans, en raison, notamment, de la diminution du nombre de gardes, des contraintes de plus en plus lourdes subies par le piégeage (très attaqué aujourd’hui, on ne le souligne pas assez !), et, aussi, de la réduction des populations de lapin, animal au fort pouvoir de reproduction qui supportait une part importante des prédations de renards et de mustélidés. C’est le fameux équilibre proies/prédateurs. Il est donc indispensable de contrôler le nombre des prédateurs, toute l’année, et particulièrement avant les périodes de couvaison. L’impact de la prédation sur l’état des espèces n’est pas à minimiser, singulièrement celle des renards mais aussi des rats, ce qui est rarement dit.

Que pensez-vous des oiseaux lâchés ? La pratique du lâcher n’a-t-elle pas évolué ces dernières années ?

Il me semble d’abord important d’identifier les vraies causes de raréfaction du petit gibier sur un territoire et de tenter d’y remédier avant toute forme de réintroduction. Fortement soutenue par notre association, la méthode anglaise d’implantation des faisans, par exemple, apparaît capable de réconcilier le chasseur de petit gibier avec la chasse de ce splendide oiseau. Il s’agit d’implanter, sur un territoire aménagé pour les accueillir, de jeunes faisans communs au moyen d’une volière à ciel ouvert, dite ‘‘volière anglaise’’. C’est une alternative propre à satisfaire les chasseurs qui, n’ayant pas le privilège de pouvoir chasser des faisans sauvages, souhaitent tendre vers cet objectif.

Lorsque des oiseaux sont lâchés sur un territoire comportant une population sauvage résiduelle, il est nécessaire de connaître le pourcentage des oiseaux de repeuplement prélevés à la chasse, le pourcentage des oiseaux sauvages prélevés étant sensiblement identique, voire supérieur. Le baguage des oiseaux de repeuplement est donc essentiel !

Le reste n’est qu’une question d’authenticité de l’acte de chasse. Chacun doit avoir à l’esprit que si les chasseurs, à l’avenir, ne se montrent pas raisonnables dans leurs prélèvements et modérés dans la pratique des lâchers de tir, les responsables cynégétiques seront privés d’arguments pour combattre ceux qui ambitionnent de multiplier la protection de espèces.

Justement, comment voyez-vous l’avenir de la chasse ?

Revenir à la vieille lune de la restriction du temps de chasse en lieu et place de la maîtrise des prélèvements, c’est manquer de clairvoyance sur les enjeux cynégétiques de notre temps. Je crois profondément à ce que disait André-Jacques Hettier de Boislambert : « L’avenir de la chasse et sa place dans la société moderne dépendent essentiellement de notre comportement, de l’affirmation de notre rôle sur le terrain en tant que leaders pour la conservation de la nature. Chasseur ? Naturaliste ? Supprimons donc toute conjonction et/ou entre les deux mots, pour ne laisser qu’un trait d’union, celui de chasseurs-naturaliste ».

En outre, le goût de la chasse étant de moins en moins partagé, y compris dans le milieu agricole, il faut sensibiliser lycéens et jeunes agriculteurs à l’aménagement des territoires de chasse destiné à faire revenir le petit gibier sédentaire. Souvent à l’occasion d’invitations à des comptages de printemps, de jeunes citadins découvrent ce qu’est la nature et, parfois, finissent par passer le permis de chasse. Sur ces questions, notamment, j’invite d’ailleurs chacun à prendre connaissance des travaux de la Fondation François Sommer sur l’évolution de la chasse en France d’ici 2040 : ils sont riches, et passionnants. 

Quels sont vos plus beaux souvenirs de chasse ?

Celui d'avoir vu mon père tirer, l’année dernière, chez nous, dans l'Aisne, deux perdrix devant, puis, dans la foulée, après avoir rechargé, deux perdrix derrière. Un spectacle rare !

Au reste, j'aime cultiver le souvenir des canards de Saulieu, cuisinés par Bastien Loiseau, et des battues de faisans de mon enfance à Le Verguier, dans le Vermandois, ou encore, avec mon épouse, à La Segotterie, sous le soleil de l'hiver solognot. Le passionné de petit gibier que je suis a aussi des souvenirs de chasses inoubliables au grand gibier dans les Ardennes françaises, dans les Bois du Roi, en Champagne, à Jonquery ; mais avoir accompagné mon ami Ronan Petit à la chasse au chamois à Sisteron me restera toujours en mémoire.

En tout cas, nous ferons tout pour que nos plus beaux souvenirs de chasse soient devant nous, dans les dix prochaines années, avec un retour rapide du petit gibier naturel !

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