Nous l’avons souvent dit dans nos colonnes : le piégeage est indispensable au maintien du petit gibier, mais aussi à celui de nombreuses espèces protégées. Chasseur lui-même, Paul Garcia – 78 ans, et grand connaisseur de la faune – est secrétaire de l’Union nationale des associations de piégeurs agréés de France (Unapaf), dont le travail de terrain, exemplaire, n’est pas assez connu des cynégètes, et par conséquent soutenu. Qu’est-ce que le piégeage ? Quid des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD), de leur devenir, de la règlementation ? Il s’en ouvre à Jours de Chasse.

Comment êtes-vous devenu piégeur ?

Il y a 20 ans, j’ai suivi la formation de l’agrément de piégeur. Ce fut d’abord par nécessité – un renard avait tué cinq poules nées chez moi… –, puis parce que j’ai pris conscience du rôle du piégeage dans la protection de l’environnement. L’association des Hautes-Pyrénées que je préside est d’ailleurs agréée à ce titre : une reconnaissance qui n’est pas usurpée, car qui se soucie des pertes en espèces dans de nombreuses régions, et qui, surtout, œuvre sur le terrain au redressement de cette situation, sinon les piégeurs ? Ce mot fourre-tout de biodiversité demeure creux s’il ne renvoie pas à quelque chose de concret : la nature ne s’intellectualise pas, elle se vit !

Êtes-vous chasseur ?

Je chasse depuis l’âge de 18 ans ; cela fait donc 60 ans. Si j’ai surtout pratiqué la chasse au petit gibier en plaine, cela fait une vingtaine d’années que je ne chasse plus que la bécasse. Cette chasse, qui m’occupe presque tous les jours de novembre à la fermeture, et dont les prises se limitent à huit ou dix oiseaux par saison, me comble ! J’aime voir Dora, mon springer, son gibier dans la gueule, attendre les félicitations… Et l’oiseau est si beau que le moment de le baguer est très ambivalent, entre le plaisir d’une traque aboutie, et cette petite… douleur à l’estomac.


Quel est le rôle de l’Unapaf ?

L’Unapaf, dont je suis secrétaire, ce sont 85 associations de piégeurs départementales, soit près de 20 000 adhérents sur la France. Son rôle est de conseiller les associations dans leurs démarches administratives et, surtout, de vulgariser une règlementation parfois rédhibitoire. Elle assure les relations entre la FNC et les associations, et, depuis quelques années, elle a signé un contrat avec un avocat qui sert de juriste-conseil sur des dossiers spécifiques. D’autre part, tous nos adhérents sont systématiquement assurés (vol, responsabilité civile, protection juridique). Enfin, outre notre site (www.unapaf.fr), nous publions une revue trimestrielle, le Journal des piégeurs, qui, tirée à 15 000 exemplaires, est une mine d’informations (techniques, juridiques, etc.) sur le sujet. Tout le monde peut d’ailleurs s’y abonner !


Certains prétendent que le piégeage est inutile, et même néfaste aux équilibres naturels. Que leur répondez-vous ?

L’homme a probablement une responsabilité dans la situation actuelle. Cependant, pourquoi piégeons-nous encore, au XXIe siècle ? Pour réguler certaines espèces. Rien d’autre. Limiter le nombre de pies bavardes sur un territoire afin de favoriser d’autres espèces, protégées celles-là, et en diminution constante – cela serait inutile ? Mais de quel équilibre parlons-nous ? Si la prédation est naturelle, les dés sont pipés en milieux anthropisés, certaines espèces étant très opportunistes et capables de s’imposer aux dépens d’autres. Infrastructures routières, urbanisation, assèchements de zones humides, etc. – sont autant de facteurs de déséquilibre. Faudrait-il supprimer l’homme, pour ne pas nuire aux pseudo-équilibres naturels ? Ceux-là mêmes qui accusent les piégeurs d’être des destructeurs sont les premiers à réclamer plus de sécurité, de protection contre les zoonoses, les collisions routières avec les animaux sauvages… L’équilibre naturel a disparu avec les chasseurs-cueilleurs, il y a plus de 10 000 ans ! Ces affirmations ne sont donc que dogmes, et n’offrent aucune solution aux problèmes réels.


Le renard, qui mange les campagnols, serait le meilleur allié des agriculteurs, et il enraierait la progression de la maladie de Lyme… Qu’en est-il, selon vous ?


Le campagnol terrestre (Arvicola terrestris), principal responsable des dégâts, ne doit pas être confondu avec le campagnol des champs (Microtus arvalis). Le premier trouve ses ressources sous terre ; il ne boit jamais et sort donc très peu à l’air libre. Son cousin des champs sort très fréquemment de ses galeries et est moins à redouter car il ne fait pas de taupinières. C’est donc le plus sou-vent des campagnols des champs que mange le renard. Une étude stomacale a révélé que seulement 40 % de sa nourriture était composée de ‘‘campagnols’’, sans préciser l’épithète spécifique. Sans doute s’agit-il de Microtus arvalis, qui, lui, ne pose pas de problème… En réalité, les dégâts du campagnol terrestre sont à mon sens bien plus liés à l’homogénéisation du paysage agricole, si propice à sa re-production. Enfin, l’étude à laquelle vous faites référence sur la maladie de Lyme est, je crois, une étude hollandaise, qui dit aussi « qu’il sera nécessaire de corriger ces résultats par des analyses sur plusieurs années consécutives pour mettre en évidence un décalage temporel potentiel des effets des prédateurs sur la densité des rongeurs et des tiques ». Il est donc urgent d’attendre !

Le blaireau est aussi au centre de l’attention…

Le blaireau n’est plus piégeable. On peut toutefois organiser son piégeage, mais il faut prouver que ses dégâts sont conséquents, et qu’il en est bien l’auteur. Pour cela, le louvetier confirmera ou infirmera la déclaration du propriétaire. Si c’est avéré, la demande de piégeage est adressée à la DDT ; en cas d’accord, celle-ci établit un arrêté préfectoral autorisant la régulation, y compris avec l’aide de piégeurs, qui seront sous la responsabilité du louvetier. Les modalités de piégeage sont précisées sur l’arrêté. Il s’agit donc d’exceptions. Rappelons que le blaireau peut dégrader les talus de la SNCF, le ballast des voies sur lesquelles les trains circulent parfois à plus de 300 km/h, mais aussi les abords d’autoroutes, les champs de céréales, etc. Côté santé publique : un cas de tuberculose bovine, et l’ARS demande la capture d’un certain nombre de blaireaux à des fins d’analyses (n’oublions pas que tous les bovins du secteur sont euthanasiés), pour déterminer l’hôte de liaison. Mais de telles mesures ne peuvent être autorisées que dans une zone délimitée, déterminée sur la base de données de surveillance régulièrement réévaluées, et sur une période précise. Je rappelle que ces captures ne sont en aucun cas justifiées par la lutte contre la tuberculose bovine, mais par la détermination du rôle du blaireau dans la propagation de la maladie. Les piégeurs ne profitent donc pas de cette maladie pour ‘‘massacrer’’ les blaireaux, comme on l’entend souvent !

La règlementation sur le piégeage dans notre pays est complexe. Pour justifier le maintien ou le retrait d’une espèce de la liste des espèces piégeables, sur quels éléments le législateur se base-t-il ?

Complexe, notre règlementation a du moins le mérite d’être assez logique. Sur le territoire français métropolitain, 120 espèces de mammifères et près de 600 espèces d’oiseaux sont répertoriées, dont 19 sont susceptibles d’être classées ESOD. Dans le groupe 2 (espèces indigènes), figurent seulement 5 mammifères et 5 oiseaux. Je dis bien ‘‘susceptibles’’, car, prenons deux exemples : le putois et la belette, tous deux ESOD. Le premier est piégeable dans deux départements ; la belette, dans un. Une espèce peut donc être ESOD sur le territoire français et, dans la pratique, très peu piégeable. En fait, c’est légitime : il y a beaucoup de différences entre les Hautes-Pyrénées et le Pas-de-Calais, par exemple… Notons aussi que le changement climatique aura sans doute des effets : aujourd’hui, le corbeau freux ne colonise pas l’extrême sud de la France, mais qu’en sera-t-il dans quelques années ? Donc, le classement d’une espèce nécessite de démontrer que sa présence est susceptible de porter atteinte à la santé ou à la sécurité publiques, à la protection de la flore et de la faune, aux intérêts privés, ou qu’elle soit répandue significativement sur le département.

Quelles sont les ESOD qui posent selon vous le plus de problèmes ? Et y a-t-il des espèces qui devraient devenir ou redevenir ESOD ?

Le renard figure en bonne place, à cause des dégâts qu’il commet et de l’échinococcose alvéolaire qu’il véhicule. Mais la pie, dont on parle moins, est un vrai problème. S’il n’est pas facile de démontrer son impact sur la petite faune nicheuse de nos régions, très opportuniste, elle s’infiltre dans tous les recoins proches de l’homme, et détruit nombre de couvées de chardonnerets, bouvreuils et autres passereaux, également officiellement protégés certes, mais pas de la pie ! Un nid repéré, et la totalité des œufs ou des oisillons disparaît. Il y a ensuite et toujours le cas du blaireau, pour les raisons que j’ai dites. Trop nombreuse, sa population doit être surveillée. On en est très loin ! Il a toute sa place dans le groupe 2 des ESOD. Dans certaines régions, le choucas des tours cause de gros dégâts agricoles. Et que penser du cormoran ? Enfin, il y a les espèces exotiques envahissantes (plus de 30 pour la France) que l’on peut difficilement réguler alors qu’elles devraient depuis longtemps être classées dans le groupe 1 (groupe qui comprend le chien viverrin, le vison d’Amérique, le raton laveur, le ragondin, le rat musqué et la bernache du Canada) : l’érismature rousse, concurrente de sa cousine à tête blanche, l’ibis sacré, qui mange les œufs et les petits des sternes, etc.

L’Unapaf intervient-elle dans les écoles, à des fins pédagogiques ?

L’Unapaf n’a pas vocation à intervenir dans les écoles ; ce sont les as-sociations départementales qui s’en chargent. Toutefois, elle conseille celles-ci, met des documents à leur disposition… J’effectue de nombreuses interventions en CM1 et 2, en particulier : eh bien, je peux dire que les enfants sont enchantés de découvrir une approche de la nature bien différente de celle qu’on leur sert trop souvent ! Ils en redemandent, et moi aussi ! L’accord de l’instituteur est suffisant ; point n’est besoin d’autres autorisations. Nous relions simplement nos interventions au programme en cours…

On parle beaucoup de biodiversité de nos jours : les piégeurs sont-ils sollicités et entendus par les décideurs ?

Entendus, difficile à dire… Nos relations avec le ministère sont au plus bas, voire nulles. Cependant, les piégeurs ont été sollicités dans le cadre de leur contribution à l’élaboration de la troisième Stratégie nationale pour la biodiversité (2021-2030). Le but semble être la reconnaissance de propositions plus proches du terrain. Une première restitution est prévue lors du Congrès mondial de la nature de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), en septembre prochain. Nous croisons les doigts !

On observe une recrudescence d’actes de vandalisme à l’encontre des installations cynégétiques. Le même phénomène est-il, selon vous, visible en ce qui concerne les dispositifs de piégeage ?

Oui, les actes de vandalisme sont à mentionner, mais aussi de nombreuses agressions verbales. C’est la seule solution qu’ont trouvé nos détracteurs pour faire entendre leur opposition au piégeage. Il est bien dommage que nous ayons à affronter un tel déballage d’idées reçues, qui prennent le pas sur la réalité. En fait, nous assistons à une explosion d’enjeux idéologiques qui relèvent d’éthiques déconnectées, de discours abstraits, voire de croyances. Le piégeage, je le répète, est une nécessité écologique – extrêmement encadrée de surcroît.

Que doit-on faire si l’on veut devenir piégeur ?

Être piégeur agréé suppose de suivre un stage habituellement dispensé par les fédérations des chasseurs, et qui dure 16 heures. Bien entendu, la règlementation se trouve en bonne place, mais aussi la biologie des espèces, la connaissance des différentes catégories de pièges, la façon de les poser et les conditions de leur usage. Tout cela est mis en application sur le terrain en fin de stage et, au terme de ces études, un contrôle de connaissance est organisé.
L’accent est souvent mis sur l’expérience nécessaire pour la capture de ses premières prises car, pour le piégeur, pas de chien, pas de fusil : notre seul ‘‘auxiliaire’’, c’est l’observation. Où poser les yeux pour trouver l’endroit exact qui peut nous donner l’indice recherché : fèces, poils, empreintes, passages… Sans doute le moment le plus difficile est la mise à mort de l’animal : lorsque cela s’impose, celle-ci devra se faire sans souffrance.

Pour tout renseignement : pol.garcia@orange.fr - www.unapaf.fr