Président de l’Association nationale des autoursiers et fauconniers français (Anfa) depuis 2017, Benoît Labarthe nous livre sa passion pour la chasse au vol, et les inquiétudes que font peser les écologistes sur l’avenir de ce mode de chasse au nom d’un bien-être animal mal compris.

Quel a été votre parcours, et comment en êtes-vous venu à la chasse au vol ?

Il faut bien le reconnaître, il y a quelques années, les choses de la vie allaient de bon sens. Élevés à la campagne, nous étions en contact direct avec les réalités de la nature. Enfants, nous sauvions le jeune merle, le chardonnet ou la crécerelle tombée du nid. Lorsqu’il m’arrive de parcourir nos modestes rédactions scolaires des années 1970, il n’est question que de nature. Papillons, recherche d’escargots, chasse avec le grand-père, observation de la couleuvre à collier, nettoyage des plages, aussi… La pie sauvée des griffes du chat venait me retrouver à la sortie de l’école et mon ami Jean-Pierre était rejoint, lui, par son marcassin.

Avec la complicité de mes parents, je fis la connaissance, dans ma 12e année, d’un personnage haut en couleur, dont la personnalité allait imprégner mon existence : Pierre Branda. Périgourdin, on aurait pu le croire sorti d’un film de Pagnol ; passionné de nature, précurseur de l’écologie de bon sens, pratiquant tous les types de chasse, mais avec une préférence pour la chasse au vol, il fut, avec quelques autres, un précurseur dans la pratique de cet art tombé dans l’oubli après la Révolution et qui risquait de disparaître en raison de la raréfaction des rapaces.

Pratiquez-vous d’autres modes de chasse ?

Oui, durant mes études parisiennes, dans les années 1980, j’ai eu la chance de pratiquer la vénerie dans l’Oise, invité par des amis, eux-mêmes boutons et président du fameux Rallye Picardie-Valois dont le maître d’équipage, Jean Bocquillon, menait avec passion ses remarquables blancs et noirs. De retour dans ma Saintonge natale, je suivais mon père, bouton du Rallye oléronais puis du Rallye Aunis-Poitou, qui découplent sur la voie du chevreuil en forêt d’Aulnay et de Chizé. Ayant le privilège de vivre en bordure d’un massif forestier, je prends beaucoup de plaisir à accompagner mon fils, nos amis et nos chiens lorsqu’il est question de bécasses. La convivialité est importante pour moi. Comment ne pas éprouver les émotions suscitées par le respect quasi religieux d’une cérémonie de bécasse cuisinée entre amis, à la ficelle, devant un feu de cheminée, mais également devant des chiens qui attendent patiemment leur moment de dégustation, la babine humide ?

Je suis également piégeur agréé. Le piégeage est une activité de prédation à part entière, sélective ; certainement l’une des plus subtiles. Pour parvenir à déjouer les ruses de l’animal, le piégeur doit être doté d’un sens aigu de l’observation, être en mesure de s’immerger dans le milieu naturel, avoir une connaissance encyclopédique des habitudes des animaux.

Qu’est-ce qui fait, pour vous, la spécificité de la fauconnerie ?

Je parlerai de ‘‘chasse au vol’’, pas forcément de fauconnerie. Le terme fauconnerie devrait ne s’appliquer qu’à la pratique de la chasse à l’aide de seuls faucons, ou aux locaux dans lesquels ces derniers sont entretenus. Pour en revenir à la chasse au vol, je ne parlerai pas de spécificité, mais d’une conjonction de particularités tendant à harmoniser une complicité entre un humain et un rapace, lui-même occupant une place prépondérante en haut de l’échelle alimentaire. Le premier a toujours eu besoin de s’alimenter et, doté d’une réflexion supérieure, a toujours eu recours à de nombreux stratagèmes afin de se procurer la protéine nécessaire à sa survie. Le second, doté d’une intelligence ou d’un instinct pratiques, est contraint de s’alimenter tout en ménageant ses forces dans un environnement souvent très hostile. La conjugaison de ces phénomènes subtilement orchestrés par l’humain permet la constitution d’un équipage.

De nos jours, il n’est plus question pour l’humain de trouver pitance de la sorte. Cependant, par cet exercice, il perpétue, dans un environnement naturel, un art délicat ne permettant ni erreur, ni approximation, ni médiocrité. Le chasseur au vol est avant tout un être contemplatif, pourvu d’une sensibilité que je ne saurais définir. Il s’émeut du naturel, admire l’esthétique de son compagnon ailé, reste fasciné parles ruses ancrées dans les gènes du gibier depuis la création de l’univers. Il s’émerveille de l’environnement dans lequel ils évoluent conjointement et, lorsque le résultat escompté n’est pas au rendez-vous, ce qui arrive la majeure partie du temps, il est heureux de vivre une forme de magie partagée avec oiseaux, chien et ami. Mon prédécesseur à la tête de l’Anfa, Philippe Justeau, a coutume de dire : « La fauconnerie, ça ne marche jamais, mais, lorsqu’une belle action se produit, nous sommes aux anges ! »

Combien y a-t-il de pratiquants en France, et pouvez-vous nous parler du rôle de l’Anfa aujourd’hui ?

Il y a environ 400 équipages constitués qui pratiquent les différents types de vol selon les territoires dont ils disposent. L’Anfa compte 350 membres actifs. Rappelons le contexte : nous sommes dans les années 1950, quelques pionniers naturalistes, mais aussi chasseurs passionnés, tentent de redécouvrir les méthodes d’affaitage des rapaces et d’obtenir la légalisation de la chasse au vol, tombée dans l’oubli après la Révolution française et supplantée par l’usage de l’arme à feu. Après de nombreux efforts, ils parviendront à leur fin sur ces deux points précis. Subsistait alors la question primordiale : comment se procurer des rapaces à une époque où le ‘‘bec crochu’’ est considéré comme nuisible, et est également menacé par les produits chimiques, très largement utilisé en agriculture après-guerre, à tel point que les effectifs peuvent être considérés en voie d’extinction dans les années 1950-1960 ? C’est là qu’intervient aussi l’Anfa, de deux façons.

La première croisade menée par l’association, son président Christian Antoine de Chamerlat, son secrétaire général de l’époque, Jean-François Terrasse, mais aussi son frère Michel et quelques membres directement concernés, fut de créer le FIR (Fonds d’intervention pour les rapaces), qui visait à obtenir le classement des rapaces comme espèce protégée. Ils y parviendront, non sans opposition, en 1972, avec les lois de protection intégrale des rapaces. Une fierté pour les fauconniers et l’Anfa. Seconde étape, celle de la reproduction en captivité, avec deux objectifs : procurer des oiseaux aux chasseurs au vol, et procéder à des réintroductions. Devant l’ampleur de la tâche, les difficultés administratives et techniques ainsi que les particularités inhérentes aux espèces à reproduire, il fallait frapper fort pour obtenir des résultats. Sous la présidence de Charles de Ganay, fut mis en place au sein de l’Anfa le GRC (Groupement de reproduction en captivité). Pionniers en la matière, les membres du GRC Anfa ont dû faire preuve de courage afin de ne pas renoncer, car il a fallu tout créer… Les résultats furent probants, à tel point que, de nos jours, les oiseaux employés en fauconnerie sont tous reproduits chez des éleveurs passionnés et compétents.

Organisez-vous des événements spécifiques destinés à faire connaître ce mode de chasse auprès des non-chasseurs mais aussi des chasseurs ?

Nous recevons chaque année des dizaines, voire des centaines de demandes de personnes intéressées par notre déduit – ce qui prouve combien le rapace fascine toujours. Après une analyse des profils, rares sont en mesure de correspondre aux critères minimaux. En effet, il n’est pas question de détenir un oiseau pour le plaisir, mais de s’inscrire dans une démarche très contraignante, particulièrement chronophage, qui implique de se mettre totalement au service de l’oiseau de chasse, qui, plus que tout autre animal, nécessite un entretien spécifique et exclusif.

Dans le contexte actuel d’incompréhension croissante à l’égard de la chasse, comment se manifestent les attaques subies par la fauconnerie, laquelle est, depuis 2010, inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco ?

Cette reconnaissance de l’Unesco est importante ; permettez-moi d’insister sur le fait que c’est bien exclusivement la partie chasse, à l’exception de tout aspect mercantile, qui est ainsi labellisée. Cela ne signifie pas que nous sommes sous la protection de l’Unesco ; en revanche, cela nous oblige à viser l’excellence. Nous sommes contraints de justifier par période quinquennale nos actions en ce sens, au risque de perdre le label. C’est ainsi que sont régulièrement recensés, pour la France notamment, les engagements de l’Anfa dans les domaines de la chasse, mais aussi de la protection, sans occulter les aspects culturels et historiques qui revêtent une importance capitale, particulièrement en Europe.

À l’instar des autres modes de chasse, nous ne sommes pas à l’abri des attaques. La meilleure réponse est l’expérience de terrain. Lorsque le faucon quitte le poing, monte à l’essor en faisant carrière par cercles concentriques, se décentre de plusieurs kilomètres afin de profiter d’un courant ascendant, puis finit par venir se centrer sur nous, sans même que nous puissions le distinguer sans l’aide de jumelles, et que seul le faible tintement des sonnettes permet à une oreille avertie de signaler sa présence, un seul reproche nous est fait : celui de ne pas rappeler l’oiseau dès qu’il est susceptible de s’éloigner un tant soit peu de nous, de crainte qu’il ne nous fausse compagnie… Curieux, n’est-ce pas ? Tenter de s’opposer au fanatisme et lutter directement contre une forme d’obscurantisme : c’est peine perdue… Reste l’exemplarité, et c’est bien sur le terrain que nous en faisons la preuve, chaque jour.

Que répondez-vous à ceux qui veulent faire interdire la fauconnerie parce que, prétendent-ils, les oiseaux seraient tout simplement soumis par la main de l’homme et soustraits, en quelque sorte, à leurs conditions naturelles ?

Tout rapace en action de chasse est libre de reprendre sa liberté si bon lui semble. Nos oiseaux sont voués à évoluer dans des conditions absolument naturelles et sont mus par l’opportunité que nous leur offrons en leur procurant alimentation, sécurité et une forme de confort. Les esprits chagrins argueront que nous les privons de nourriture. C’est mal connaître la physiologie du vivant ! Un coureur de marathon affamé est-il en mesure de prendre le départ d’une course ? Un faucon, s’il a faim, ne vole plus : il reste ‘‘collé’’ au fauconnier, et nous n’en obtiendrons rien de bon. C’est pour cela qu’ils sont pesés chaque jour ! Une perte de poids affaiblit l’oiseau, le rend vulnérable aux maladies, parasites, etc. C’est tout l’inverse du résultat escompté. 80 % des jeunes rapaces sauvages meurent dans leur première année. Leurs conditions d’existence sont épouvantables, très éloignées du discours angélique relatif à la douceur de la nature. Cela dénote, du reste, une ignorance naturaliste absolue. Entre nos mains, sauf accident, un rapace employé pour la chasse dispose d’une espérance de vie supérieure à 15 ou 20 ans. Dans le nature, rares sont ceux qui survivent au-delà de 8 à 10 ans. Nous leur prodiguons certes leur alimentation mais également tout l’arsenal indispensable aux soins et aux traitements prophylactiques. Les conditions de détention répondent à des critères très précis…

Plutôt que de ‘‘bien-être animal’’, expression très à la mode, je parlerai de ‘‘bientraitance’’ : cela me paraît plus en accord avec les relations entretenues par les fauconniers avec leurs oiseaux. L’Anfa est en relation permanente avec son ministère de tutelle et le ministère de l’Agriculture afin d’établir des règles cohérentes. Elle reste particulièrement vigilante sur ces sujets. J’ajoute que nous disposons d’un réseau national de fauconniers bénévoles, les Membres de l’Anfa, qui est à la disposition des centres de soins lorsqu’il est question de réintroduction in natura d’oiseaux récupérés blessés ou malades. En effet, nous disposons d’une expertise incontestable dans ce domaine. Nous travaillons avec le législateur afin de faire évoluer la situation, qui reste encore inaboutie sur ce point précis, et qui conduit directement à l’euthanasie des oiseaux qui pourraient être relâchés dans de bonnes conditions. Faute de cohérence, et par stupide idéologie partisane, ils finissent soit par être abattus légalement, soit par croupir dans des installations indigentes, mal adaptées, et aux antipodes du discours que nous prônons dans l’intérêt exclusif de nos protégés. J’en profite pour remercier l’ensemble des Membres de l’Anfa qui contribuent aux actions de protection initiées ou soutenues par l’association.

De façon plus globale, une certaine écologie radicale n’est-elle pas aujourd’hui, au-delà de la fauconnerie et même de la chasse, en train de détruire les fondements civilisationnels de notre rapport à la nature et à l’animal ?

Nous assistons sans doute à une forme de radicalisation des idées, visant à porter atteinte, notamment, à nos fondements sociétaux et civilisationnels. Je ne suis pas en mesure de porter un quelconque jugement de valeur sur ce phénomène, sauf lorsqu’il implique un décalage total avec le bon sens et la réalité naturaliste. C’est ce vers quoi nous tendons en humanisant l’animal. Imaginer une nature sauvage angélique, c’est méconnaître totalement cette même nature, avec ses règles – la première étant la nécessité du cycle de la vie. Et je pose cette simple question : infliger des traitements contre nature à un animal de compagnie, le traiter comme un humain en allant jusqu’à le grimer, l’habiller, maintenir son chien dans des conditions inadaptées à son espèce, etc., etc., ne sont-ce pas là les signes d’une rupture profondément inquiétante ?