Directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, Alexandre Lacroix ne discute pas ici la réalité de la catastrophe écologique actuelle. À ses yeux, il s’agit là d’une évidence. Quel est donc l’angle sous lequel il aborde le sujet de la « nature blessée », et qui justifierait de lui consacrer un énième ouvrage ? Celui du nouveau regard que nous devrions poser sur les « paysages du présent », soit d’une « nouvelle philosophie esthétique » à imaginer, étant admis que ces derniers, profondément altérés, ne sont plus, sous nos latitudes, ce qu’ils étaient jadis – grosso modo avant que la civilisation ne prenne le pas sur la nature et ne lui devienne même « hostile ». À cet égard, l’auteur semble, disons, un peu hésitant : il faudrait apprendre à déceler ce qui est beau à travers ces « lieux » aux couleurs et aux physionomies inédites et, en même temps… on perçoit comme un regret face à l’ampleur de la perte, un arrière- goût de ‘‘c’était mieux avant’’ – dont il se défend d’emblée, crainte de passer pour « conservateur », horreur absolue. Si, à l’encontre des penseurs de l’écologie à la mode, il
refuse l’idée de ne plus faire usage de la notion de nature – celle-ci étant historiquement trop associée, pour un Descola ou un Morizot par exemple, à « l’exploitation » funeste du « vivant » par l’Occident –, et si, en outre, il propose de substituer à « l’antagonisme » classique nature/ culture l’idée d’une « gradation » à partir de laquelle repenser nos catégories esthétiques,
on peine à identifier, au fil des pages, les intentions réelles de l’auteur, dont le penchant pour l’abstraction dissimule mal le manque de consistance. Au reste, alors même qu’il explore la possibilité de « rencontrer (encore) l’animal sauvage » aujourd’hui, notre philosophe, sans nul doute par préjugé, passe magistralement à côté de ce que la chasse, comme pratique par essence située à cheval entre nature et culture, aurait pu lui enseigner : le déduit ? Un « stupéfiant archaïsme » – rien de plus. On ne se commet pas avec l’engeance cynégétique – sauf très lointaine, et animiste, de préférence ! Soyons pourtant espiègles : eût-il fait relire son manuscrit par quelque nemrod local, que Lacroix eût évité certaines fâcheuses bévues ou étrangetés car, non, les lièvres n’ont pas de « terrier » (les lapins, si…), la femelle du sanglier n’est pas la « hure » mais la laie, les « colombes » (tourterelles ?) ne « nichent » pas « après la Toussaint », et, si un loup entend un humain imiter son hurlement dans la nuit et y répond, difficile
cependant d’en conclure que Canis lupus « accepte », ce faisant, « de renouer une relation diplomatique [sic !] » avec Homo sapiens… Un livre symptomatique des dérives de la contemplation contemporaine.

Allary, 234 pages, 20,90 €.