S’il est un gibier qui fait briller l’œil de nombreux chasseurs, parfois même au-delà du raisonnable, c’est bien le sanglier, cette brute hirsute, puissante en diable, sortie du fond des âges. Il est en nombre aujourd’hui – trop, certainement –, mais il reste à mille lieues d’un animal commun. Car c’est toujours avec émotion qu’on le voit surgir derrière des baliveaux. Lorsqu’on l’évoque dans notre littérature culinaire, l’imagerie populaire l’associe d’abord à Astérix : celle du banquet gaulois, du sanglier à la broche, le plat favori d’Obélix, accompagnée de la musique du barde celte…Dans un autre genre – plus littéraire celui-là, mais non moins savoureux ! –, viennent à l’esprit certains écrits d’Alexandre Dumas. Notre ogre aimait rappeler la quête de ce qu’il appelait le porc à l’état sauvage, narrant les dangers qu’il y avait jadis avec des armes qui n'avaient pas l'efficacité de celles d'aujourd'hui. Il évoquait la nature de cet animal qualifié de misanthrope, goûtant de « se réfugier dans les ronces et les halliers les plus épais où il n’aim[ait] pas qu’on vienne le déranger », prenant « alors les noms de ragot, de quartanier et de solitaire ». Il aimait même à se moquer
gentiment du chasseur qui, ayant raté son coup, verrait l’animal foncer sur lui, lui conseillant : « S’il a une branche d’arbre à portée de sa main… s’y suspendre et… laisser passer le sanglier qui revient rarement sur son coup de boutoir ».

Quant à l’aspect culinaire, Alexandre Dumas nous fait saliver dans son célèbre Grand dictionnaire de cuisine. Il conseille de le cuisiner en jeune marcassin écorché et rôti à la broche, ou, comme pour le cochon, en prélevant la hure, les filets et les côtelettes. Lorsqu’on le lit, on regrette qu’on ne puisse plus recueillir le sang pour en confectionner du boudin, sous-entendant qu’autrefois on en faisait. Il proposait également les côtelettes à la Saint-Hubert à la poêle avec une sauce au vin blanc, le filet de sanglier à la blaze, mariné, bardé et encore cuit avec le même breuvage, le quartier de sanglier à la royale, bien différent de notre lièvre puisqu’il s’agissait d’une cuisse de laie, marinée pendant cinq jours et braisée encore au vin blanc pendant six heures, tout en l’ayant laissée dans sa couenne…

Le sanglier rôti, à la broche, nous fait hésiter, craignant une qualité gustative fort moyenne. À tort ! Les rares cynégètes qui maintiennent encore cette cuisson, au feu de bois, comme l’agneau d’un méchoui, connaissent les saveurs de cette viande rôtie. Avec évidemment une cuisson de six à huit heures, arrosée d’un assemblage de graisse ou d’huile d’olive, de tournesol ou de pépins de raisin, parfumée aux épices, thym et romarin, et, pourquoi pas, d’ail écrasé.

Cependant, rôtir un sanglier devient impossible dans nos cuisines actuelles et, très vite, nos recettes se sont tournées vers les viandes en sauce. Nous ne reviendrons pas sur les marinades que nous avons dégustées, justifiées jadis par la difficulté de conserver la viande, que seule une immersion dans l’alcool aseptisait. Les règles de conservation actuelles nous permettent de préparer autrement ce gibier.

Recette : Une bête rousse buclée

Nous allons peut-être vous étonner en vous indiquant l’une de nos recettes préférées, à réaliser si le maître de la chasse vous a permis de rapporter une jeune bête rousse. Il faut veiller avant tout à ce que l’animal soit intact. En raison souvent de l’éloignement de nos territoires de chasse, nous vous conseillons de le vider immédiatement dans un premier temps pour, ensuite, pouvoir le bucler, comme un cochon de lait.

Pour ce faire, il faut brûler les poils (ou les soies) de l’animal. Jadis, on le brûlait dans une botte de paille : impossible à réaliser en ville de nos jours ! Utilisez pour brûler les poils une lampe à souder, à cartouche de gaz, facile à trouver dans tout magasin de bricolage. Une fois l’animal accroché, pendu, passez la flamme patiemment sur tout le pelage de l’animal. Prévoyez un endroit aéré car l’odeur est tenace. Une fois l’animal entièrement buclé, coupez-le dans sa longueur en deux parts égales. Et, par sûreté alimentaire, pour éviter la trichinose, congelez-le pendant deux mois. Après décongélation, nettoyez précautionneusement la couenne avec la lame d’un couteau ou un grattoir, voire une éponge métallique, pour évacuer tous les résidus de poils brûlés. Ceci fait, cuisinez-le au four. L’animal peut se replier sur lui-même, les pattes avant et arrière se touchant presque sur la plaque de cuisson. Arrosez-le d’huile et de beurre, salez, poivrez, accompagnez d’aromates, et mettez-le dans un four préchauffé à 150°C.

Lorsqu’il a pris une belle couleur, couvrez-le d’un film de papier d’argent. Arrosez-le régulièrement. Selon la taille de l’animal, prévoyez 5 à 7 heures de cuisson à feu doux. Vous étonnerez vos convives en apportant l’animal entier sur la table, et vous obtiendrez une viande onctueuse et croustillante, qui se détache au premier coup de couteau. Un repas qui restera dans la mémoire de vos convives !