Le 19 avril dernier, alors qu’il avait disparu depuis deux semaines, le célèbre photographe américain Peter Beard était retrouvé mort dans un bois, non loin de son domicile.

Il était l’homme de deux mondes. Il fut cet artiste mondain et séduisant du New York des années 1970, ami de Bacon, Warhol, Capote et Dalí. Mais il fut surtout cet aventurier intrépide épris d’Afrique, celui qu’on surnommait le ‘‘Tarzan des temps modernes’’. Ému par la vie de Karen Blixen, Beard acheta une ferme au Kenya et se passionna pour sa faune et son histoire, et sillonna sans relâche ses espaces vierges. Son œuvre majeure résulte de ces années d’observations, de chasses et de rencontres avec les ethnies et les aventuriers du pays. Chef-d’oeuvre singulier d’un artiste surdoué, The End
of the Game
(1965) est un savant mélange de photographies d’une incroyable puissance, de dessins et de collages, d’archives, de carnets relatant une époque d’aventures, un pays et ses peuples en profonde mutation. Mais c’est d’abord une ode au romantisme et à la sauvagerie de l’Afrique et un témoignage de l’agonie de la nature, la dénonciation de sa dévastation par les hommes blancs qui ont rompu l’harmonie en ouvrant la voie à son exploitation sans mesure. Le propos de Beard est visionnaire, engagé et à contre-courant, ce qui le rend plus que jamais d’actualité. Son œuvre dénonce aussi avec véhémence l’incohérence des politiques de conservation radicale de la faune dans des habitats diminués par la fragmentation des territoires, et prône une gestion par la chasse. Il publie ainsi une édifiante série de clichés sur les conséquences de la surpopulation d’éléphants à Tsavo : des milliers de carcasses de pachydermes morts de famine après avoir désertifié leur propre habitat.

Peter Beard s’en est allé comme meurent les vieux éléphants, dans la solitude de la forêt. Parce qu’il fut l’un des rares artistes de notre époque à mettre en avant les liens complexes entre la chasse et la conservation de la nature, son œuvre saisissante doit plus que jamais continuer à nous inspirer.