« Un mensonge, disait Mark Twain, peut faire le tour de la terre le temps que la vérité mette ses chaussures. » Si cette formule de l’auteur des Aventures de Tom Sawyer est élégante, elle est surtout – à l’heure d’Internet – d’une singulière lucidité. En effet, point n’est besoin pour le mensonge de lester son dos de preuves et autres garde-fous fondés en raison : il aime à voyager léger – quand la vérité, patiente, laborieuse, relève bien davantage, quant à sa mobilité, de l’escargot que de la sterne.

Ainsi en est-il aujourd’hui à notre égard, nous, chasseurs. Plus la désinformation, la calomnie ou la fausseté est grosse, et plus elle gagne en écho, en vitesse de transmission et en efficacité : « Impossible de faire un pas en forêt sans se faire tirer dessus ». « Il est parfaitement légal d’être bourré à la chasse ». « Les chiens de vénerie sont dangereux pour l’homme, parce qu’ils sont dressés pour quêter et tuer ». « Les chasseurs n’aiment pas les bêtes, puisqu’ils n’ont qu’un désir : les abattre ». « Les enfants de chasseurs sont programmés pour être violents, puisqu’ils sont initiés au goût du sang dès leur plus jeune âge ». « La nature n’importe aux chasseurs que dans la mesure où elle peut leur permettre d’assouvir leurs pulsions sadiques ». « L’homme est un être sensible ; l’animal est un être sensible ; donc il n’y a pas de différence de nature entre l’un et l’autre ». Tel quidam déclare-t-il s’être fait insulter par un chasseur portant une arme ? « Tout chasseur est donc par essence grossier et agressif ; la possession d’armes de chasse est en soi un péril et il faut y mettre un terme » – ou, comme le préconisait un certain Christophe Barbier en 2015, « obliger les chasseurs à laisser leur fusil en mairie » entre chaque partie de chasse…

L’air est évidemment connu de tous ces mensonges qui, tel Lucky Luke, tirent plus vite que leur ombre et nous blessent, nous irritent, quand ils ne finissent pas par nous décourager complètement. Or, c’est de ce dernier point que nous souhaitons entretenir le lecteur. Çà et là, en effet, au détour de conversations ou de commentaires, on voit poindre régulièrement la pire des tentations : celle du défaitisme. « La chasse est foutue » ; « les chasseurs réagissent, oui, mais c’est déjà trop tard » ; « trop d’ennemis, on ne s’en relèvera pas » – et, last but not least, le fameux : « Nous avons chassé, nous chassons encore, quant à l’avenir… », autrement dit : après nous, le déluge.

A nos yeux, il s’agit là de propos irresponsables. La chasse est tradition, la chasse est essentiellement transmission : quelle image d’aucuns donnent-ils des cynégètes, lorsqu’ils épousent ce type d’attitudes, et le revendiquent ? Baisser les bras, et se contenter de raconter aux jeunes générations les ‘‘chasses passées et désormais perdues’’, la voix pleine de nostalgie et le discours grevé de digressions capitulardes – voilà qui manque de décence, et de sollicitude ! Au reste, rien n’est jamais joué d’avance – sauf, bien entendu, quand on décide a priori de déclarer forfait. Si la vérité a besoin de temps pour enfiler ses chaussures, n’avons-nous pas, justement, le devoir de l’y aider ?

A l’encontre de cet état d’esprit inféodé à l’échec, on observe ces temps derniers, partout au sein du monde de la chasse, un regain de combativité, un désir de réaffirmer la légitimité de notre passion, particulièrement à l’approche des échéances électorales de 2022 – en témoignent, par exemple, les manifestations en cours en province. On ne peut que s’en féliciter ; cependant, de même que nous devons lutter contre le défaitisme dans nos rangs, de même devons-nous bien avoir conscience de ceci : la remise en cause de la chasse n’est qu’une ‘‘petite’’ partie d’une remise en cause beaucoup plus vaste, et qui tend à vouloir faire table rase de tout ancrage, de tout enracinement, de tout mode de vie imprégné de valeurs ou d’usages éprouvés au fil temps. En d’autres termes : réclamer le retour des chasses traditionnelles et montrer les dents pour que d’autres chasses ne soient pas frappées d’interdiction à l’avenir, c’est nécessaire mais c’est, hélas, insuffisant.

Les antichasse ne sont pas réductibles à la détestation qu’ils nous vouent : nous aurions tort de le croire, comme nous aurions tort de ne pas chercher à nous rapprocher de tous ceux qui subissent les assauts de ce mouvement de déconstruction globale. Seuls, et en première ligne, les chasseurs remporteront peut-être quelques victoires sur le court terme. Néanmoins, si l’on veut que ces efforts soient pérennes, n’est-il pas urgent de dépasser le cadre de la défense de la simple ‘‘ruralité’’, et de rallier sous la même bannière toutes les cibles potentiellement visées par les tenants du nouvel ordre qui se préfigure ? En somme, n’avons-nous pas besoin aujourd’hui d’un Non… franc et massif ?